J’ai débuté vendredi dernier mon déplacement dans le Pacifique. Je me suis d’abord rendue en Polynésie Française où j’ai participé au Forum de l’Union européenne et des pays et territoires d’outre-mer (Forum UE-PTOM). J’y ai notamment rappelé la nécessité d’associer les petits territoires d’outre-mer, qui se situent aux avant-postes des risques liés aux changements climatiques, aux grandes décisions de notre temps.
Retrouvez le discours que j’ai prononcé à cette occasion :
Intervention de Madame Annick GIRARDIN
Ministre des outre-mer
17e Forum UE – PTOM
Polynésie française
Vendredi 1er mars 2019
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le commissaire européen,
Mesdames et messieurs les représentants de la Commission,
Mesdames et messieurs les représentants des PTOM,
Mesdames et messieurs,
Le Gouvernement français entretient un dialogue approfondi et constructif avec la Commission pour construire l’avenir de ses Pays et territoires d’outre-mer. Ce 17e forum est l’occasion de le réaffirmer.
Le Président de la République disait que la France, grâce à ses outre-mer, était un archipel. L’Europe en est un pour les mêmes raisons !
Et nous partageons, ensemble, une communauté de destins. La proposition de Décision d’association outre-mer (DAO) en discussion continue d’inscrire la relation UE/PTOM dans une dynamique positive que je salue avec force.
En effet, l’actuelle décision a permis de passer d’une logique de lutte contre la pauvreté à une logique de partenariat pour le développement économique et social des PTOM et dans le prolongement, la future proposition de DAO (2021-2027) s’articule toujours autour des mêmes piliers – la politique, le commerce et la coopération – en apportant quelques changements, notamment :
- La prise en compte du Brexit;
- L’intégration du budget du FED dans le budget général de l’UE ;
- Une disposition spécifique afin de promouvoir les projets intra-régionaux entre PTOM, Etats ACP ou non et RUP.
Et je ne peux que saluer la progression rapide des discussions en Groupe ACP du Conseil, qui a permis des avancées sur plusieurs points importants soulevés par les autorités françaises et rappelés par les différents orateurs.
Je serai néanmoins très vigilante sur certains points :
D’abord sur la nécessité d’un traitement équilibré du Groenland et des autres PTOM dans la prochaine décision, notamment en ce qui concerne les financements.
Ensuite sur la prise en compte des intérêts des PTOM dans les accords commerciaux, car je rappelle que les intérêts commerciaux des PTOM sont aussi ceux de la France et donc de l’Europe. Les accords UE/Australie ou UE/Nouvelle-Zélande sont le bon exemple à suivre.
Enfin sur les dispositions en matière de concurrence et les aides d’Etat : compte tenu de l’étroitesse des marchés des PTOM, de leur éloignement et de la structure de leurs économies, les menaces sur le marché européen sont purement théoriques et – disons-le – inexistantes. L’Europe doit être lisible, agile, elle doit s’adapter à nos territoires, pas plaquer des intentions certes louables mais pas toujours adaptées à nos réalités.
Au sujet de l’accès des PTOM aux différents programmes de l’Union européenne, il semble que le principe soit acquis et que des avancées soient obtenues dans le cadre des différentes rédactions de compromis proposées par la Présidence.
C’est une bonne chose car il est toujours pertinent de permettre l’accès des PTOM à ces programmes !
Par exemple, je rappelle tout l’intérêt que nous portons pour le volet international du programme Erasmus qui permettra de faciliter la mobilité dans le voisinage des PTOM. C’est une question de rayonnement !
Permettez-moi aussi de rappeler l’enjeu crucial de l’accès des PTOM à l’instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale, que ce soit pour le volet thématique ou le volet « aide humanitaire » qui devrait pouvoir être mobilisé, notamment au regard des risques de catastrophes naturelles.
Enfin, je tiens à rappeler l’importance de l’implication des PTOM dans le partenariat UE/ACP post Cotonou, et notamment dans la construction des pactes géographiques « Caraïbe » et « Pacifique ». Cela participerait à l’ambition d’améliorer l’insertion et la coopération régionale dans les bassins concernés.
Nous savons combien les potentiels de coopération dans ces bassins sont nombreux : économie bleue, économie circulaire, énergies renouvelables, lutte/adaptation au changement climatique, préservation de la biodiversité.
Mais la vraie question que nous devons nous poser, c’est pourquoi ce moment présent est si important ? Ici au cœur du Pacifique, comme partout au sein de l’archipel européen ?
Il est important car être associé à l’Europe comme le sont les PTOM, c’est d’abord être associé à un projet, c’est le partager, le construire ensemble, l’adapter, le rendre vivant !
Voilà plus de 70 ans que l’Europe se construit, non sans mal, non sans heurt. Je le dis ici clairement, ce projet qui fut d’abord un timide pacte économique, n’a peut être pas su, d’élargissements en référendums, gagner l’opinion mais surtout le cœur des européens.
On ne fait pas l’union sur des traités ou des normes, on fait l’union sur des idées, sur des projets, sur des utopies même. Cette utopie c’est celle d’une Europe sociale, progressiste, humaniste, solidaire mais aussi d’une Europe plus intégrée, plus réaliste et plus juste.
L’Europe est un archipel ! Elle est plurielle, elle est universelle, et grâce à La France, aux Pays-Bas, au Danemark, à l’Espagne, au Portugal, elle est planétaire !
Les territoires européens d’outre-mer représentent 1% de la population européenne, mais ils offrent à l’Europe la première surface maritime du monde. Ils sont aussi des frontières de l’Europe sur chacun des océans, nouant des relations uniques avec leurs voisinages et faisant ainsi rayonner de par le monde l’utopie européenne. Cette utopie, elle est pourtant concrète dans chacun de ces territoires : ce sont des écoles, des collèges, des lycées, des stations d’épuration, des routes, des ponts, des aéroports ou des ports en eaux profondes. Ce sont aussi des filières agricoles performantes, des entreprises compétitives et des pôles d’innovation aux équipements de pointe.
Les européens mesurent la force des outre-mer, la récente communication de la Commission ou les négociations à venir le prouvent.
Cette Europe du 21e siècle, elle sera forte de tous ses territoires, mais elle sera aussi forte de ses institutions. C’est là notre défi ! L’Europe a une faiblesse énorme : elle est omniprésente dans nos vies et pourtant elle nous est insaisissable. Les institutions sont complexes, les textes sont ardus, Bruxelles semble être la ville du temps lent. Dépassons cela pour reconnaitre que les peuples européens ont grandi grâce à cette union comme jamais depuis des siècles. De reconnaitre qu’ils ont grandi par quelque chose de fragile et d’essentiel, que nous pouvons transmettre à nos enfants : la paix !
La paix ne se décrète pas, elle se gagne !
Cette paix future elle se gagnera si nous faisons face avec force aux déséquilibres qui menacent le monde. La mise en œuvre de nos politiques doit être rapide, mesurable, transparente, sinon nous allons décevoir nos concitoyens. Et ces déceptions sont toujours porteuses de menaces.
Principale menace : l’environnement. Et nous savons combien les outre-mer sont aux avant-postes des risques liés aux changements climatiques.
Le « jour du dépassement », lorsque l’humanité a dépensé l’ensemble des ressources que la terre peut régénérer en une année, intervient plus tôt chaque année.
C’était le 30 septembre en 1998, le 1er août en 2018 et tout porte à croire que la Terre vivra à crédit en 2019 à compter du mois de juillet.
Si la terre entière vivait avec les standards français, ce jour du dépassement interviendrait même en mai !
Il faut agir sans résignation aucune ! Mon ambition est connue pour les outre-mer français et je veux la partager ici avec vous : faire de nos territoires des pionniers dans l’atteinte des 17 ODD et du respect de l’accord de Paris.
Je souhaite que nous rentrions dans une trajectoire de progrès.
Je parle de trajectoire, car l’idée est d’accompagner les territoires à atteindre cette ambition. C’est du collaboratif, pas une idée qui s’impose. L’Europe est un archipel, il ne peut y avoir de centralité !
Nous ne pouvons pas être dans le monde du « toujours plus », je crois que notre monde, celui du 21e siècle, celui que l’on laissera à nos enfants, sera celui du moins, et du mieux.
Il ne faut plus tirer sur la corde ! La planète est à bout.
Admirons le zéro ! Et orientons nos politiques vers 5 objectifs :
Zéro déchets, pour des sociétés économes, préservatrices des ressources : cela impose de repenser nos importations, d’envisager les circuits courts, de changer de modèle de gestion des déchets. Nos territoires en débordent, c’est le moment d’agir ! ;
Zéro carbone, en intégrant davantage d’énergies renouvelables dans leur mix énergétique ; cela pose la question de l’électricité évidemment, et des déplacements.
Zéro intrants chimiques, pour des populations protégées des substances chimiques dans leur quotidien. C’est énorme, je le sais ! Mais cela signifie un nouveau modèle agricole, d’une complexité inouïe en zone intertropicale ou il n’y a pas d’hiver pour jouer le rôle de vide sanitaire, et ou les espèces invasives étouffent les cultures. Mais quoi ? Vous pensez qu’on ne peut pas y arriver ? Quand je vois les progrès de certaines filières sur ces points, je sais que c’est possible si nous les accompagnons.
Zéro exclusion, pour des sociétés inclusives et luttant contre toutes formes de discrimination et d’inégalité. Mais aussi parce que zéro déchet, zéro carbone, zéro intrant chimique nécessite plus de main d’œuvre. Cela exige un nouveau modèle de société qui rend le travail plus rémunérateur que l’inactivité afin de voir des emplois se créer dans les centres de tri, dans les énergies renouvelables, dans nos champs.
Et enfin Zéro vulnérabilité, car je souhaite que nos outre-mer soient des territoires résilients face au changement climatique et aux risques naturels qui en découlent.
Cette trajectoire 5.0, c’est permettre à la fois de répondre aux besoins urgents et de préparer l’avenir avec la transition écologique.
Trajectoire 5.0, c’est aussi un moyen de réaffirmer les priorités politiques de l’Europe. Nous devons orienter nos dispositifs d’accompagnement vers ces objectifs, car ce que nous voulons, c’est une transformation !
Car au fond, Trajectoire outre-mer 5.0, c’est l’opportunité de faire de nos territoires des territoires exemplaires et de développer des savoir faire exportables dans toutes les îles du monde !
Je veux que nos territoires soient vus comme des territoires de conquête, des territoires pionniers de ceux qui participeront à faire de l’Europe ce qu’elle est : le plus beau projet politique jamais porté de part le monde !